Deuil et travail : et si on osait en parler (vraiment) ?

Chaque année, plus de 640 000 décès sont enregistrés en France.
Derrière chacun, il y a une famille, des proches… et souvent, un salarié qui, quelques jours plus tard, retourne au travail, parfois forcé de faire comme si rien ne s’était passé.
Un salarié qui revient après la perte d’un proche, c’est un moment délicat. On voudrait bien faire, mais on ne sait pas toujours comment. On a peur de dire un mot de travers, ou au contraire, de ne pas en dire assez. Alors, on évite. On passe vite à autre chose. Et on espère que « ça ira ».
Pourtant, dans la réalité, le deuil ne s’arrête pas à la fin du congé. Et faire comme si de rien n’était, c’est souvent le meilleur moyen de fragiliser quelqu’un qui tient tant bien que mal debout. En tant que RH ou manager, il y a un rôle clé à jouer, et ça ne veut pas dire devenir psychologue, ni tout révolutionner.
Dans cet article, on vous propose une autre façon de voir le sujet : plus humaine, plus concrète, plus adaptée à vos réalités terrain, que vous soyez au siège d’un grand groupe ou en atelier de production. Des chiffres pour comprendre, des actions simples à mettre en place, et surtout, une posture à cultiver : celle de l’écoute, du lien, et du bon sens. On y va ?
“ Quand on revient après un événement douloureux, plusieurs défis peuvent se présenter :
- Gérer les réactions des autres (collègues, hiérarchie) ;
- Faire face aux maladresses ou silences ;
- Difficultés de concentration, fatigue émotionnelle ;
- Crainte du jugement, de ne pas être « au niveau » ;
- Pression implicite de « reprendre comme avant ».
Au delà des différentes phases du deuil du modèle de Kübler-Ross (le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation), le retour au travail active une palette émotionnelle très large :
- La tristesse ;
- La colère, parfois contre l’injustice de ce qu’il s’est passé ;
- L’anxiété face à l’avenir ;
- La culpabilité (« je ne suis pas assez productif ») ;
- Et parfois même, un détachement : on n’arrive plus à s’investir comme avant.
Ces émotions sont naturelles et légitimes. Elles vont et viennent. Et le fait d’en prendre conscience est déjà une première forme de soutien envers soi-même. ", Cécile Cerobski, Psychologue du travail chez Qualisocial.
Pourquoi on parle peu du deuil… alors que tout le monde est concerné
En France, plus de 4 millions de personnes vivent un deuil chaque année.
Et sur ces 4 millions, une grande partie continue à aller travailler, parfois dès la semaine suivant la perte de leur proche (source : Ifop x Empreintes).
Le chiffre est parlant : ce n’est pas « un sujet à part », c’est une épreuve de vie qui traverse l’entreprise, comme n’importe quel autre événement personnel. Mais autant il existe des process pour l’arrivée d’un enfant ou le retour de congé maladie, autant le deuil reste une zone floue. Et souvent… une zone silencieuse.
La double peine : perdre un proche, et devoir faire « comme si de rien n’était »
Le congé légal pour un décès d’un parent proche est de 3 à 5 jours ouvrés. C’est tout.
Ensuite ? La vie reprend. Ou du moins, c’est ce qu’on attend souvent du salarié.
Mais la réalité, c’est qu’on n’enfile pas une « casquette pro » comme on mettrait une veste. Reprendre le travail alors qu’on est encore sous le choc, c’est difficile. Et dans bien des cas, le plus dur n’est pas la charge de travail, mais le décalage : l’impression qu’il faut cacher ce qu’on vit, pour ne pas « mettre mal à l’aise » ou « ralentir l’équipe ».
Résultat ? Beaucoup vivent leur deuil en sous-marin. Ils serrent les dents, baissent la tête, et essaient de faire bonne figure.
“La souffrance ne se voit pas toujours. On peut sourire, faire « comme si », et pourtant être en difficulté. Il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur : chacun vit les choses à sa façon. Il y a des interrogations auxquels on fait face lorsque l’on revient au travail : - Dois-je tout raconter à mes collègues ? » → Non, c’est à vous de choisir ce que vous souhaitez partager.
- « Et si je ne me sens pas prêt(e) ? » → C’est important de le dire. Le médecin du travail peut appuyer un report ou un retour adapté.
- « Comment faire si je craque ? » → Vous avez le droit. Avoir un endroit refuge, un collègue repère ou une pièce pour s’isoler peut aider
Le retour est un processus, pas un événement ponctuel. Le plus important, c’est de pouvoir revenir progressivement et d’en parler avec son manager ou avec les RH, pour poser ensemble un cadre clair :
- Quelles sont vos priorités ?
- Quelles sont vos limites actuelles ?
- De quoi avez-vous besoin pour vous sentir soutenu(e) ?”, Cécile Cerobski, Psychologue du travail chez Qualisocial.
Tabou ou simple gêne ? Ce qui bloque souvent les collectifs
Le silence autour du deuil, ce n’est pas un refus de compassion. C’est souvent une maladresse bienveillante : on ne sait pas quoi dire, alors on ne dit rien. On ne veut pas remuer le couteau dans la plaie. On se dit que c’est intime, que ce n’est pas le lieu.
Et pourtant, ne rien dire, c’est parfois pire que de mal dire.
Côté RH, il y a aussi un flou : quel est le rôle à jouer ? Jusqu’où aller ? Est-ce qu’il y a un risque d’en faire trop, ou pas assez ? Le challenge principal étant de bien accompagner, mais sans tomber dans l’ingérence.
La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas besoin d’être parfait pour être un soutien. Et surtout : parler du sujet, c’est déjà une première étape. Nommer les choses, c’est leur redonner une place légitime dans l’entreprise. Et ça, c’est une compétence humaine autant que professionnelle.
Le déni organisationnel : à quel prix ?
On ne va pas se mentir : quand un salarié traverse un deuil et que l’entreprise fait l’autruche, ça ne passe pas inaperçu. Peut-être pas tout de suite. Mais très vite, les effets se font sentir : sur la personne concernée, sur l’équipe, sur l’ambiance générale.
Et si on parle ici de déni organisationnel, ce n’est pas pour pointer du doigt. C’est pour dire que, souvent, l’organisation ne sait tout simplement pas comment faire. Alors elle ne fait pas. Résultat : on laisse le sujet de côté… en espérant que ça passe.
Mais ça ne passe pas toujours.
Côté salarié : une surcharge qui déborde vite
Quand on vit un deuil, il ne s’agit pas juste de tristesse. Il y a des démarches à gérer, des nuits sans sommeil, des émotions en vrac… Et quand on revient au travail, on essaye de suivre le rythme, d’assurer, de « ne pas se faire remarquer ».
Ce surmenage silencieux peut mener à :
- une fatigue chronique,
- des troubles de l’attention,
- des erreurs ou des accidents,
- un désengagement progressif, parfois imperceptible au début.
En 2025, 1 salarié sur 4 se déclare en mauvaise santé mentale (25%) et, moins d’1 salarié sur 4 a accès à un plan de prévention complet en santé mentale au sein de son organisation (23%). À noter que 83% des salariés bénéficiant d’un plan de prévention complet estiment que cela a permis une amélioration de la santé mentale (Baromètre Santé Mentale et QVCT 2025 Qualisocial x Ipsos).
Côté collectif : quand le silence crée des failles
Un deuil mal accompagné, ce n’est pas qu’un sujet individuel. C’est toute l’équipe qui observe, et qui envoie un signal silencieux à tous : « Ici, ce genre de chose, on n’en parle pas.«
Et ça peut avoir plusieurs effets domino :
- Des tensions internes (« on ne sait pas comment se comporter », « on marche sur des œufs »),
- Une perte de cohésion (« chacun gère de son côté »),
- Une image managériale écornée (« ils ne prennent pas soin de leurs équipes »).
Petit à petit, ce sont la confiance et la sécurité psychologique qui s’érodent. Et quand celles-ci vacillent, c’est toute la performance collective qui suit.
Ce n’est pas une fatalité. Il ne s’agit pas d’avoir toutes les réponses, mais de montrer que l’entreprise voit, l’entreprise entend, et surtout : l’entreprise ne laisse pas seul.
Deuil au travail : les bons réflexes à adopter
Quand on parle d’accompagnement, il n’y a pas de formule magique. Pas de script à suivre à la lettre. Mais il y a des gestes simples, humains et efficaces qui peuvent faire toute la différence.
Ce que dit la loi (en clair et sans détour)
On commence par le cadre de base : le congé pour décès est de 3 à 7 jours ouvrés selon le lien avec la personne décédée (article L3142-1 du Code du travail).
Et c’est un minimum légal. Rien n’empêche l’entreprise d’aller au-delà (par accord collectif ou politique interne), ni d’envisager des aménagements plus souples au retour.
Quelques pistes possibles :
- Aménager temporairement les horaires,
- Alléger la charge de travail,
- Permettre un retour progressif,
- Offrir un soutien RH ou un relais psychologique, même ponctuel.
La bonne question, au bon moment
Accompagner, ce n’est pas « avoir les bons mots ». C’est oser poser la bonne question.
- Pour un manager, ça peut être : « Tu veux en parler ou tu préfères qu’on te laisse tranquille un moment ? »
- Pour un collègue : « Je ne sais pas trop quoi dire, mais je suis là. »
- Pour un RH : « Qu’est-ce qui te faciliterait la reprise ? »
Il ne s’agit pas de « bien faire », juste de montrer qu’on est présent. C’est ça qui compte.
Le rôle du collectif : ne pas laisser de côté
Ce qui pèse le plus après un deuil, ce n’est pas forcément le travail en lui-même. C’est l’isolement social. Le fait de revenir et de sentir que « les autres ne savent pas quoi dire », ou pire : qu’on n’existe plus dans le groupe.
C’est là que le collectif a un vrai rôle à jouer :
- Envoyer un message,
- Proposer un café,
- Préserver une forme de lien, même léger.
Ce sont des petites attentions, mais elles permettent de revenir sans avoir à tout réexpliquer, sans se sentir « à part ».
Et en usine ? Quand le terrain ne permet pas de s’effacer
Le télétravail peut parfois offrir un sas, un tampon. Mais en production, sur site, ce sas n’existe pas. On est là, on est vu, et la machine n’attend pas.
C’est justement là que l’adaptation est encore plus cruciale.
- Permettre un binôme temporaire,
- Alléger les tâches les plus exigeantes physiquement ou mentalement,
- Prévoir une réunion d’équipe courte pour « poser le cadre » et éviter les malaises ambiants.
Chaque geste compte. Et surtout : chaque geste montre qu’on est une organisation humaine, pas une machine.
Et après ? Ne pas refermer trop vite la parenthèse
Le congé est passé, la personne est revenue, tout semble « reprendre son cours »… Mais c’est souvent à ce moment-là que tout commence vraiment. Le deuil, ce n’est pas une parenthèse qu’on ouvre puis referme. C’est un processus, avec ses hauts, ses bas… et parfois ses silences.
“Légitimer le fait que le deuil n’est pas “derrière” une fois le congé fini. Prenez conscience qu’il vous faudra refaire connaissance avec votre collaborateur/ collègue.” Cécile Cerobski, Psychologue du travail chez Qualisocial.
Reparler du sujet sans peur de mal faire
Beaucoup de managers ou collègues se demandent : « Et maintenant, je dis quoi ? »
Bonne nouvelle : il ne faut pas chercher la perfection, mais juste oser la présence.
Quelques phrases toutes simples suffisent :
- « Comment tu te sens en ce moment ?«
- « Tu veux qu’on en reparle ou tu préfères qu’on passe à autre chose ?«
L’important, c’est de laisser une porte ouverte. Ne pas forcer, mais ne pas fuir non plus.
Effets différés : quand le corps et l’esprit encaissent plus tard
Beaucoup de DRH le constatent : les effets du deuil n’arrivent pas toujours tout de suite.
C’est parfois 3, 6 ou 9 mois plus tard que des signaux faibles apparaissent :
- Fatigue chronique,
- Perte d’attention,
- Démotivation ou tension,
- Burn-out ou accident du travail.
Selon le guide « Vivre un deuil » publié par KLESIA, le nombre d’absences consécutives à un deuil a progressé de plus de 25 % entre 2019 et 2021, portant à près de 70 % le nombre de salariés en arrêt maladie après un deuil. De plus, 80 % des collaborateurs estiment le soutien de leur DRH inadapté ou inexistant. Ces chiffres soulignent l’importance d’un accompagnement adéquat pour prévenir les risques de désengagement et de détresse psychologique.
Installer une culture du care
Pas besoin de transformer l’entreprise en cellule de soutien psychologique. Ce qu’on peut viser, en revanche, c’est une culture du « care » : autrement dit, une attention active aux autres.
Quelques leviers simples :
- Un point RH à distance du retour (ex : 1 mois plus tard),
- Des managers sensibilisés aux signaux faibles,
- Un relais possible vers un soutien externe,
- Un espace de parole ou de discussion collective (pas forcément centré sur le deuil, mais sur le lien entre pro/perso).
L’idée, c’est de dire : “On ne va pas tout régler, mais on ne va pas faire comme si de rien n’était.”

Aller plus loin : les ressources utiles pour agir
Parce qu’il n’y a pas de solution magique, mais plein de façons d’avancer concrètement, voici quelques ressources pour passer à l’action :
🔹 Guide « Deuil au travail : comment l’accompagner ? » – Association Empreintes
🔹 Dispositif « Mon soutien psy » – Service-public.fr
🔹 Cellules d’Urgence Médico-Psychologique (CUMP) – Ministère de la Santé
🔹 Numéro vert national de soutien psychologique : 0 800 130 000 (appel gratuit, 7j/7)
Ce que Qualisocial propose concrètement
Chez Qualisocial, on est convaincu que l’accompagnement d’un deuil ne s’improvise pas… mais qu’il peut être humain, adapté et concret.
- Nous accompagnons les salariés et leur famille lors de situations de deuil, avec des entretiens psychologiques individuels, de l’écoute, et un suivi dans la durée.
- Nous intervenons également en gestion de crise, suite à un décès ou un événement traumatique, pour aider les équipes à retrouver des repères et éviter l’isolement émotionnel.
- Et parce que ces situations peuvent aussi être prises en charge dès le terrain, nous formons des référents internes aux Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM). Ces collaborateurs ressources, sensibilisés et outillés, peuvent ainsi jouer un rôle clé de soutien de proximité, en identifiant les signaux d’alerte et en orientant leurs collègues vers les bonnes ressources.
Parce que le soin du collectif commence par une attention sincère aux fragilités de chacun.
Et si accompagner le deuil, c’était aussi…Renforcer la culture du lien dans l’entreprise ?



Le baromètre du harcèlement au travail – Qualisocial x Ipsos

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